Préambule
C'était à Saint-Raphaël sur le bateau O KAINOS. Je m'équipais pour ma première plongée. Cette odyssée était une gageure : fasciné par Jacques-Yves Cousteau, j'étais curieux de connaître le frisson du monde différent qu'il décrivait.
Un peu avant, j'avais enfilé le scaphandre, fixé le masque et la bouteille, bouclé la ceinture lestée de plombs. Au dernier moment, j'ajustai l'embout du détendeur entre les dents et descendis pesamment l'échelle arrière. Après quelques échelons, lorsque l'eau froide imbiba soudain la combinaison, une peur intense m'envahit : le lourd équipement m'étranglait et m'entraînait irrésistiblement vers le fond.
Bientôt l'immersion fut complète et je crus ma dernière seconde arrivée, lorsqu’à travers le masque perlé de gouttes d'eau, je captai l'ultime vision du monde connu avant de lâcher la rampe. A ce point l'entreprise devint irréversible.
Alors commença la plongée, malhabile, mon corps instable ne pesa plus rien et l'air décomprimé de la bouteille remplaça l'air naturel, le contact avec un monde nouveau s'engagea et le drame ne se produisit pas.
(Baie du Cap Ferrat, dix ans plus tard, je me retrouvais dans le même milieu. J'avais plus ou moins acquis la technique élémentaire de la plongée et, serein cette fois, je m'émerveillais à contempler le ballet des poissons bariolés qui évoluaient, autour de moi, à 15 mètres de fond.)
C'est cette situation "irréversible" que je retrouverai, comme des milliards de frères humains, dans un contexte inconnu que sera le grand passage. Mais aujourd'hui, je ne me sens pas prêt et je veux défricher le terrain.
Notre mort est inéluctable et la seule question fondamentale et angoissante qui devrait obséder tout être qui raisonne devrait être, me semble-t-il "Que va-t-il suivre ?" ( Que m'est-il permis d'espérer ? s'interrogeait KANT ).
Or, le dénouement de la vie est attendu par chacun dans un état d'esprit différent: serein chez le croyant profond, sublimé chez le fanatique, insouciant pour beaucoup, parce que le brouhaha de la vie n'est pas propice à la réflexion. Et lors de l'ultime moment, si l'on en croit les accompagnants, c'est rarement l'au-delà qui préoccupe ceux qui vont mourir.
L'imminence de ce drame est perçue différemment. De manière très aiguë pour la jeune femme de Sarajevo, pour le condamné à mort, pour l'homme sidéen parce que ceux-là pressentent leur échéance. De manière moins cruciale pour l'adolescent que l'âge n'a pas marqué, parce que la probabilité, mais la probabilité seulement, lui laisse espérer un répit.
Et moi, pourquoi ne puis-je envisager ce passage de manière paisible et l'appréhender sereinement ? Au point où j'en suis, je ressens à la fois la nostalgie du passé et l'affolement de voir s'écouler le temps qui m'achemine inexorablement vers l'inconnu "inéluctable" et qui m'obligera à renoncer au monde environnant pour lequel il me reste tant de désirs.
Philosopher, pour moi, c'est organiser la conclusion et être prêt à le quitter à tout instant. A quel résultat puis-je aboutir ? Je crois que je puis atteindre une meilleure clairvoyance mais jamais la sérénité.
Est-ce déformé par mon activité que je me fixe cet objectif très précis : Ma conduite est de me composer un environnement logique et raisonné que je veux substituer à la foi aveugle. Ce qui peut-être aboutira au même résultat, mais avec une autre démarche et si en fin de compte je devais conclure en faveur de l'au-delà c'est par une logique personnelle.
Mais cette même logique pourrait me faire admettre qu'éventuellement cet au-delà n'existe pas. Et si la conclusion était moins confortable, cette même logique je devrais l'accepter.
Ce conditionnement correspond étrangement à la méthode de l'accouchement sans douleur appliquée à la mutation fondamentale de la vie.
Les alternatives
Le schéma logique qui doit diriger cette recherche prend pour moi la forme suivante : La survie n'est-elle imaginable qu'à partir de l'existence de Dieu ? Si Dieu existe, ma survie est-elle certaine? Si ma survie est certaine quelle sera sa forme? Si Dieu n'existe pas ou s'Il existe et qu'Il ne m'accorde pas la survie, alors suis-je condamné au néant. La maxime extrême qui stigmatise cette dernière hypothèse est exprimée par Comte- Sponville : "ne craignez rien, il n'y a rien à espérer". Autrement si je me place dans l'autre alternative, comment étayer logiquement ma conviction ?
Dans toutes les hypothèses quel doit être mon comportement?
Je crois pouvoir résumer deux attitudes principales de la manière suivante :
- Carpe diem sans me soucier de l'aboutissement. Cette attitude peut exprimer ou une grande insouciance ou une grande philosophie.
- Espérer même avec ferveur (car on ne sait jamais) et confier mon raisonnement à d'autres parce je sais que je ne réussirai pas à expliquer.
"L'athéisme est aussi incertain que la religion" conclut Kant. Si je ne crois pas, je me condamne aux foudres décrites par la religion. Si je crois alors que rien n'existe, rien ne se passe. Donc je devrais croire.
Croire dans ce cas c'est contracter une forme d'assurance tous risques. Je ne peux me satisfaire de cette position sécurisante qui ressemble trop à une politique d'autruche et surtout implique l'abandon de ma liberté.
Croire ou refuser de croire avec une conviction logique ? Cela passe par une longue analyse et l'épilogue de toutes les hypothèses. Cela pourrait me suggérer, à la fin du raisonnement, une solution probable.
L'approche que je veux suivre est de consigner les observations relatives à certains concepts qui me paraissent fondamentaux. Par leur critique, je compte dégager mes conclusions et décider du comportement que ces conclusions impliquent.
Etat d'esprit
Ces années-là, j'avais la charge de diriger le département informatique chez un constructeur d'automobiles. J'avais pu développer progressivement les applications en partageant les équipements d'une entreprise voisine. Maintenant, le comité financier de notre groupe acceptait le principe d'une structure propre à notre usine.
Compte tenu de l'impact de cette option (quelques dizaines de millions de francs pour l'équipement et l'organisation du département), l'étude d'implantation devait être approfondie et pour établir un comparatif des fournisseurs potentiels, j'invitai à plusieurs reprises les agents commerciaux des grands constructeurs d'ordinateurs à présenter leurs produits.
Parmi les arguments techniques, il en est un qui était âprement controversé : le temps d'accès aux données sur disque magnétique. Le constructeur du matériel X expliquait que sur cet équipement l'accès se faisait par de multiples têtes de lecture fixes, donc sans déplacement mécanique et donc plus rapidement. Ce que je répercutais plus tard au constructeur Y. Celui-ci me rétorqua aussitôt que la vitesse de rotation des disques adverses était nettement plus basse que celle de l'équipement Y et que cela engendrait finalement une moindre performance du matériel X.
Ces navettes prirent un certain temps, mais finalement la sélection s'opéra tout autrement. L'entreprise qui nous sous-louait son équipement nous déclara : "vous êtes devenus un utilisateur tellement important de notre matériel que celui-ci ne se justifie plus pour nous, nous allons nous en séparer". Malgré nos études en profondeur et devant l'urgence, .. c'est ce matériel que notre usine a racheté.
Les arguments logiques sont bien souvent contredits par des éléments soudains et nouveaux qui déclenchent alors une décision du type "deus ex machina".
Sur le plan de la raison, opposer des arguments théologiques est un bel exercice intellectuel, mais est-ce vraiment cela qui enlèvera la conviction, parce que sentimentalement ou autrement un autre argument imprévu peut bouleverser notre logique.
Cependant, en procédant avec une grande systématique, cet exercice a le mérite de couvrir le sujet en profondeur.
Aboutir à quoi
L'énigme en tant que telle, je sais d'avance que je ne la résoudrai pas et même je devrai clore imparfaitement mon raisonnement mais je veux épuiser tous les arguments évidents ou seconds et développer l'argumentation le plus loin possible.
La démarche poussée à l'extrême peut (je le crois, en ce qui me concerne) aboutir à son terme à une satisfaction philosophique d'avoir "tout raisonné selon mes moyens", à un moment, de conclure en âme et conscience et de pouvoir atteindre une certaine sagesse.
Pour cela, je veux jauger les idées de l'homme, philosophe, théologien ou penseur sans parti pris, sans arrière-pensée, étant attentif à tout argument philosophique, mais sans l'admettre à priori.
Le cheminement, je veux le faire à la manière de Candide à travers les arguments et les hypothèses rencontrés ou provoqués, ouvert au débat, sans privilégier aucune conception, en confrontant et critiquant les éléments concrets.
Je veux emprunter le chemin de la logique pure mais sans sophistication, en utilisant le langage commun. Car je ne sais pas si l'expression du puriste par ses abstractions parfois peu compréhensibles "apporte" plus que le raisonnement trivial.
Faut-il manipuler des concepts comme le "Noumène" pour approcher la Vérité ? (Descartes lui-même dans sa logique du "Cogito" est largement interprété !) Je sens plus d'efficacité de raisonnement dans des arguments plus concrets mais poursuivis jusqu'à leur tréfonds.
Avec quels moyens ?
Pourquoi écrire alors que beaucoup d'autres m'ont précédé et traitent ce sujet tellement mieux que moi ?
En fait, cette affaire est fondamentale et personnelle à tout homme et tout homme doit trouver sa réponse.
(CS) N'importe qui peut faire des mathématiques à votre place (puisque par hypothèse, il trouvera, s'il trouve, le même résultat auquel vous pourriez parvenir) et c'est pourquoi sauf goût particulier ou nécessité de gagner votre vie, vous n'avez aucune raison de faire des mathématiques vous-même. Au contraire, personne ne peut philosopher à votre place: ce que je pourrais avoir trouvé, et quand bien même cela me satisferait totalement,..., rien ne prouve que cela vaille pour vous.
Personne ne possède d'explication logique mais certains prétendent détenir la vérité, leur vérité. Ma démarche voudrait confronter ces vérités.
Ces notes me concernent mais elles sollicitent la réfutation venant d'autres êtres pensants. Elles appellent la controverse et d'autres arguments.
Pour cela, écrire est un besoin. Ma pensée pour s'exprimer a besoin d'un support qui permette de la rappeler et de la modeler jour après jour. J'ai besoin de la polir et la repolir sur un même métier, comme un computer a besoin d'une mémoire de masse pour stocker, trier, synthétiser et conclure enfin.
Partant de raisonnements bien précis, je me suis conforté en comparant ma démarche à celle de certains philosophes et me suis aperçu que j'avais spontanément découvert des idées identiques. Au départ de cet échantillon, je veux inverser mon approche, raisonner seul et confronter ensuite.
Je voudrais empreindre ma tournure d'une "versatilité" logique, c'est-à-dire qu'ayant compilé tous les arguments rassemblés, j'en déduise une conclusion momentanée, probablement contredite le lendemain par d'autres arguments plus forts, jusqu'au moment d'une plus grande conviction encore.
Cette versatilité est une position bien moins confortable qu'une foi intense, aveugle mais non raisonnée. Citons S.Freud (VG299/SF) : Le vrai croyant se trouve à un haut degré à l'abri du danger de certaines affections névrotiques; l'acceptation de la névrose universelle le dispense de la tâche de se créer une névrose personnelle.
Mais cette approche versatile permettra à la fin une meilleure conviction, (mais jamais une certitude) parce que j'aurai pénétré et vécu le sujet de manière intensive et précise.
Cette précision est suggérée par Simone Weil "il faut dans le domaine des rapports entre l'homme et le surnaturel, chercher une précision plus que mathématique; cela doit être plus précis que la science".
Il faut cependant s'arrêter quelque part. Le principe doit être celui du juste milieu. Avec A. Comte (VG265/AC) : Toute disposition habituelle à trop compliquer les explications constitue réellement une tendance vers la folie, en introduisant un excès de subjectivité.
Un esprit actif ne trouve dès lors aucune limite à l'extravagance de ses créations arbitraires. Chaque démenti qu'il reçoit du monde extérieur peut toujours être étudié en compliquant davantage ses constructions intérieures.
Ou avec Comte-Sponville : "Dans la mesure où la philosophie n'est pas une science ni ne peut l'être la technicité n'y saurait prévaloir comme preuve, ni la sophistication constituer toujours un progrès. Les systèmes s'ajoutent aux systèmes et cela ne fait qu'une complexité de plus."
Les miracles
Notre entreprise nous avait détachés en stage, mon ami et moi, dans une entreprise associée située à 300 miles au sud de New-York.
Après trois semaines, nous avions fait le bilan des contacts au cours desquels nous avions rencontré une dizaine de personnes de l'entreprise américaine et nous préparions la visite de l'usine W. qui avait réalisé une application de pointe dans un domaine que l'on appellera plus tard l'informatique.
Un délégué commercial nous avait fixé rendez-vous dans l'entreprise informatique F. à Philadelphie. Celui-ci, peu ponctuel, nous fit attendre deux longues heures dans le bureau de réception en compagnie de la réceptionniste (Jane). Celle-ci compatissant à notre impatience, nous avait offert le thé et entamé un brin de conversation.
Par la force des choses, elle se posait ainsi comme l'une des 10 personnes avec lesquelles nous avions lié connaissance aux USA jusqu'au moment où enfin notre contact arriva et nous conduisit à l'usine W.
Quelques jours plus tard, nous rejoignions N-Y. Notre vol de retour était programmé pour la nuit et nous décidâmes de faire le tour de New-York avec un 'tour operator'.
Cadencés par groupe, embarqués dans la foule des visiteurs, nous visitions les curiosités et allions de file en bus puis de bus en bateau jusqu'à la Statue de la Liberté.
Du haut de la passerelle de notre bateau qui partait, nous crûmes apercevoir dans un des groupes suivants, non encore embarqués, quelqu'un qui nous saluait et, ô miracle!, mon ami reconnut Jane.
A la fin de la journée, les touristes terminaient la visite par l'Empire State Building et les groupes s'étant mélangés, un nouveau hasard nous fit retrouver Jane dans la bise du 120ème étage où nous échangeâmes quelques mots... Malheureusement, l'avion s'envolait une heure plus tard.
Ce fait peut-être banal met en évidence une coïncidence dont la probabilité est quasi nulle. Parmi 100 millions d'américains, nous retrouvions par le jeu du hasard une des 10 personnes que nous connaissions dans ce pays.
Cette probabilité infime de provoquer cette occurrence n'est pas un miracle, c'est un hasard qu'accepte la probabilité. Mais dans d'autres circonstances, plus complexes peut- être, combien de fois ne doit-on pas confondre miracle et probabilité infime.
Il faut cependant bien admettre l'existence de phénomènes qui restent inexpliqués (En ce qui me concerne, je n'ai pas approfondi cette matière). Mais ne sommes-nous pas aujourd'hui dans les mêmes conditions vis-à-vis de nos successeurs lointains que nos aïeux vis-à-vis de nous et nos descendants n'expliqueront-ils pas nos mystères ?
Comment distinguer des faits rarissimes, les phénomènes supranaturels. Par définition, ceux-ci sont inexplicables et ne peuvent aider à la conclusion qui m'occupe aujourd'hui.
Les mystères
Pour cette étude, je définirai le phénomène mystérieux comme le constat que celui-ci est inexplicable par les lois normales connues de l'homme au moment de l'observation. Je veux couvrir sous ce concept l'explication de faits bénins autant que celle de la question essentielle.
Ces phénomènes mystérieux interdisent toute conclusion logique et immédiate mais il importe de se positionner par rapport à ces faits. On constate, par exemple, que l'attitude fondamentale de la religion est de se retrancher derrière une série de mystères pour expliquer l'existence de Dieu.
Très tôt, au cours de mes premières approches, ma logique maîtresse consistait en ceci : si la compréhension de Dieu est aujourd'hui impossible à l'homme, comment l'homme peut-il espérer s'intégrer dans l'idée de l'au-delà puisque de toute façon cet univers ne le concerne pas ou le dépasse aujourd'hui. Dieu est donc hors de ma portée.
En me rapportant à d'autres réflexions, un raisonnement secondaire me suggère que l'entendement d'un élément hier mystérieux puisse progressivement être corrigé. A cause de l'évolution de la science, ce qui auparavant était obscur, aujourd'hui se perçoit (grâce à des découvreurs comme Einstein) ou, dans un contexte plus concret, s'explique : l'homme a marché sur la lune et accède à l'espace. L'ébauche même de cette hypothèse aurait conduit au bûcher les contemporains de Galilée, lui qui ne pouvait même pas affirmer l'univers copernicien.
Dans cette prospective, peut-on imaginer, dans un temps très lointain, expliquer tous les mystères d'aujourd'hui ?
Cette projection à long terme qui ouvrirait vers la connaissance totale aboutirait à un constat de non-Dieu (puisque l'homme saurait tout) ou à tout le moins à une hypothèse panthéiste. Mais ceci parait impossible car l'homme n'était à l'origine de l'univers.
Et même si c'était possible à long terme, en ce qui me concerne, je dois conclure aujourd'hui, car mon échéance est courte.
D'autres raisonnements apportent un éclairage particulier à ces mystères et je veux relever les différentes théories qui touchent à ce point.
La religion explique que Dieu souhaite rester inconnu pour laisser l'homme libre.
Spinoza imagine une autre hypothèse : Dieu est d'une autre essence, Il ne juge pas l'action de l'homme. Ce n'est donc pas parce que je ne peux le percevoir que je ne puis l'atteindre.
On se rappellera la conception mythologique selon laquelle les dieux évoluent dans un monde et les hommes dans un autre totalement séparé, mais dans ce cas sans espoir de retrouvailles.
L'évolutionnisme
La progression de nos connaissances nous indique de manière de plus en plus évidente que l'homme descend de l'animal dont il est une forme évoluée.
La différence entre la nature humaine et la nature animale serait le fait que l'homme soit pourvu d'intelligence. Et dans l'hypothèse chrétienne, cette intelligence fait de lui un être élu de Dieu.
Cette conclusion aboutit au fait que les valeurs appliquées à l'homme n'ont plus rien à voir avec celles appliquées à l'animal.
Cela me suggère certaines réflexions que je résume comme suit : La césure homme- animal est-elle rigoureuse ? A partir de quel individu l'élection a-t-elle eu lieu ? A quoi cette élection aboutit-elle ?
Election
Les différentes réflexions qui suivent sont émises d'un point de vue purement anthropocentrique.
L'évolution suppose que l'animal à un moment donné est devenu homme et d'après la conception chrétienne, seul l'homme a une âme et peut espérer la vie éternelle.
La première question qui surgit est de savoir où est la césure et précisément à partir de quel individu un animal ou homme a droit à cette vie éternelle.
Une première réflexion relève d'un sentiment d'équité absolue. En effet, il peut paraître injuste que l'apport d'un ion additionnel d'intelligence différencie un être élu d'un être sans espoir.
Une seconde réflexion concerne le point de césure entre élu et non élu. En suivant l'évolution des espèces, on peut observer la progression de la physiologie humaine dont le cerveau se complexifie : au début de notre époque, le cerveau du dinosaure était infime comparé à celui du chimpanzé, celui du chimpanzé est petit comparé à celui de l'homme. Alors qu'est celui de l'homme d'aujourd'hui comparé à celui qui va nous succéder.
Où commence l'homme ? Son entendement est de plus en plus perfectionné et l'homme de demain expliquera des choses incompréhensibles aujourd'hui. La notion d'intelligence élémentaire ou non intervient-elle en vue de cette élection ?
D'autre part et aujourd'hui, comparons les êtres entre eux, Un homme dégradé par l'accident et vivant en léthargie comateuse ou un homme atteint de la maladie d'Alzheimer et qui décline ou un homme qui n'a jamais atteint aucun degré d'intelligence, paralysé cérébral est-il lui élu et à cause de quoi comparé à un animal, dit intelligent. Ce qui peut les différencier au point de vue de leur élection n'est pas évident.
Plus loin encore : Quid de l'enfant mort-né ou avorté ? Celui-là est-il élu alors qu'il n'a pas usé de son intelligence.
Une fois élu dans quel état l'âme ou l'intelligence survivrait-elle ? Selon son PIC ou selon son état à la fin de sa vie ?
Faut-il considérer qu'ayant perdu à la fin de la vie toutes nos facultés, l'accès à l'au-delà les restaure ? Autrement, si cet esprit épousait la forme dernière, on est forcé de conclure que l'esprit serait asservi au corps et l'on se retrouve dans la pure théorie matérialiste.
Pour répondre à ces questions variées, toute explication du premier genre est vaine et seul le recours à la transcendance divine peut nous tirer d'affaire.
Concept du PIC
L'apport humain façonne le monde. Chaque homme offre son apport aux générations suivantes puis s'en va. Einstein, Christ, de Gaule ou Pasteur ont apporté un ferment nettement plus perceptible que d'autres mais leur destin est irrémédiable identique.
C'est ce que constatait Baudouin I dans un de ses derniers discours "la maladie m'a fait reconnaître combien tout homme est semblable".
Individuellement, chaque homme vit ses événements et certains "grands hommes" vivent un PIC particulier : après une période de vie semblable aux autres, l'homme a vécu un moment-clé, parfois court, souvent intense après lequel il rejoint l'anonymat ou est déchu ou disparaît.
Le destin de certains hommes a eu un impact important sur la société soit à cause de leur morale, de leur intelligence ou de leur art de leader. Ce charisme engendre pour moi une interrogation : Ce destin parfois de surhommes les qualifie-t-il différemment dans le concept de l'au-delà. L'Eglise, par exemple, parle de béatification qui institue ces personnes en tant que modèles.
Et si l'on se remémore les funérailles de Baudouin I, alors que rien ne l'a mis en exergue pendant son vivant, le peuple entier découvrait à sa mort quel souverain il perdait, auréolé par son exemple, sa foi, sa conviction, son amour du prochain. Dans l'émotion de ses obsèques, je me posais la question "celui-là est-il différent aux yeux de Dieu?"
Les Sociétés
La société catalyse l'individu alors que celui-ci n'est pas essentiellement plus évolué : je relève notamment cette phrase d'une étude des premiers âges "quant aux capacités intellectuelles de l'homo sapiens, la chose est simple : lui, c'est nous ! Transporté comme par magie dans notre fin de XX° siècle, un nouveau-né kidnappé dans la grotte de Lascaux, dans le Périgord serait probablement capable de réussir des études (Le Vif-Guy Haarscher)".
Cette société représente donc un composant essentiel de notre entendement global.
L'appartenance à cette société éclaire peut-être l'essai d'explication de la "faute du groupe", concept de base de la religion.
D'un point de vue historique, les apports des générations successives ont orienté les sociétés et constituent le point de départ pour la génération suivante.
D'autre part, cette société environne les individus en créant un cadre de vie particulier favorable ou non au raisonnement et à l'élévation.
Résumant son opinion Durkheim dit de la société : "Elle est le canal par lequel la civilisation parvient jusqu'à nous" et il détaille son point de vue en affirmant de la société que "celle-ci transcende les hommes qui la composent et qu'elle porte en elle-même une valeur supérieure à ceux qui la composent "DK82 "Encore faut-il que la personnalité collective soit autre chose que le total des individus dont elle est composée; Car si elle n'était qu'une somme, elle ne pourrait avoir plus de valeur morale que les éléments dont elle est formée, et qui par eux-mêmes n'en ont pas. Nous arrivons donc à cette conclusion: c’est que s'il existe une morale, un système de devoirs et d'obligations, il faut que la société soit une personne morale qualitativement distincte des personnes individuelles qu'elle comprend et de la synthèse duquel elle résulte" "la société est une grande personne morale …je ne vois dans la divinité que la société transfigurée et pensée symboliquement".
Pour lui, cela n'oblige pas l'individu "à s'incliner docilement devant l'opinion morale", "mais en tout état de cause nous ne pouvons aspirer à une autre morale que celle qui est réclamée par notre état social.. C'est de la société et non du moi que dépend la morale" (DK97)
Ce serait donc à l'intérieur de "sa société" que l'homme connaîtrait la plénitude.
Considérer que la société crée un caractère complexe est assez évident. Considérer qu'elle noue avec l'individu des liens aussi profonds quasi-divins, ne m'apparaît pas.
D'une manière, me parait-il contradictoire, Rousseau de son côté proclame que "l'homme est bon, c'est la société qui le corrompt".
Observée au cours des âges et en tous lieux, la société déforme la vérité et l'arrange de manière tendancieuse.
Celle d'aujourd'hui façonne des structures déformées par l'inertie, l'électoralisme, le fonctionnariat ou le syndicalisme.
Elle confond les problèmes : voyons quelques exemples.
Dans la génération de cette fin de siècle, rongée par une crise économique, en fait, le problème de fond n'est pas celui du chômage mais celui d'un équilibre à trouver entre la répartition des richesses et les devoirs sociaux. Sclérosée par un syndicalisme hargneux, le fonctionnariat obsolète, les règles de mandat mal adaptées, cette société n'arrive pas à définir un nouveau type de contrat social.
Autre exemple : la famine ravage certaines parties du monde, mais ici on détruit les surplus de production agricole pour protéger les prix.
Troisième exemple : aujourd'hui comme lors de la peste au moyen-âge, le sida se propage et condamne à mort. Il me parait que l'objectif fondamental d'une société efficace serait de mettre tous les moyens en œuvre (financier ou de main d'œuvre) pour combattre ce fléau. Or les efforts principaux dans la lutte contre cette calamité sont individuels et font appel aux organisations caritatives.
Dans plusieurs cas, La société est manifestement immorale.
Référons-nous à la société nazie qui finalement a été acceptée par un grand nombre et qui a pu servir de bouclier à pas mal d'exactions. Retenons la phrase de Claus Barbie à son procès "la guerre c'est fini" comme si ce fait, s'il ne pouvait l'innocenter, constituait à tout le moins à ses yeux une circonstance atténuante.
Cependant beaucoup d'allemands ont renié cette société et l'on combattue.
L'exemple du nazisme est extrême, mais le phénomène est latent dans les autres sociétés et je considère que chacun dans une communauté a le devoir de la combattre lorsqu'elle contredit la morale ou la logique.
Regardons l'impact positif d'un Gorbatchev sur la société soviétique où les gens sont mal à l'aise, oppressés par leurs dirigeants et le retournement pacifique qui permet le retour (momentané) à la raison.
Cette position de dépendance sociale pourrait éclairer le concept de la faute originelle : c'est la "communauté humaine" qui serait responsable de la faute de certains et par-là je serais personnellement coupable. Cette culpabilité je ne veux l'accepter si j'ai renié ceux qui auraient commis cette faute sans mon adhésion.
En survolant l'histoire, je conclus que la société sera surtout façonnée par la personnalité des hommes-clés qui ont pu la conduire ou la conseiller. La masse se bornera à élire ou accepter ces hommes ou à les combattre.
L'enveloppe que constitue mon groupe social mérite considération : il est constitué des apports et des PIC historiques d'individus bien précis qui nous environnent ou nous précèdent, mais il n'est pas la morale et de nombreuses situations nous montrent son immoralité. Cette moralité découle d'autres sources. Chaque fois que l'un des groupes sociaux défie la logique ou cette morale au niveau le plus élevé, il mérite la réprobation active.
Cette constatation implique qu'il faut s'abstraire de cette société et chercher ailleurs la morale et la divinité.
Par contre, parce que la vie en groupe est nécessaire, ceci engendre une conséquence morale : je me dois d'accorder à cette société que j'ai choisie, si elle est juste, la réciproque de son apport et mon adhésion à ses principes. Ceci constitue pour moi, le fondement du contrat social.
Que retenir de la faute de groupe ? Le procès de Nuremberg a bien identifié des coupables individuels et non la foule. Par contre, celle-ci avait élu ces hommes. Mais il reste bien que la responsabilité soit individuelle : si la propension des individus est orientée vers le mal, la société ne fait que leur fournir le terrain pour s'exprimer.
Il est cependant un point sur lequel il faut conclure à une supériorité de la société sur l'individu : la société survit à l'individu, alors que celui-ci lui a légué une marque qui influencera de près ou de loin la génération future et constituera peut-être une contrainte, peut-être un apport positif.
Mais la société reste une abstraction et sans vouloir plagier Pascal, je constaterai que "l'avantage que celle-ci a sur l'homme, celle-ci n'en sait rien".
La religion
Je voudrais opérer cette approche en me référant de préférence à l'exemple chrétien, parce qu'il est mieux connu et parce qu'il inspire à un certain point de vue le plus de crédibilité aujourd'hui. Je voudrais analyser différents facteurs déterminants qui pour moi doivent éclairer le concept religieux.
L'intuition
A travers des civilisations qui ne se connaissaient pas, la religion s'est implantée sous une forme différente (vénération de Zeus Ra Bouddha Thor Allah). Si l'indépendance des sources est vraie, elle prouve une intuition spontanée dans des contextes différents : il est donc important de déterminer si cette indépendance est certaine et par-là déduire cette spontanéité.
Ce qui ne nous permet pas de généraliser car, à l'encontre de ce qui précède, Leibniz évoque l'exemple de civilisations qui n'avaient pas l'idée de Dieu, ni même de mot pour évoquer l'esprit.
L'intuition est considérée par Spinoza comme "la connaissance du troisième genre" et qu'il définit comme la "connaissance qui progresse de l'essence formelle de certains attributs de Dieu jusqu'à la connaissance adéquate de l'essence des choses" SZ25.
La religion découvre Dieu de manière intuitive, par contre elle ne prouve rien et ne veut rien prouver : son postulat est qu'il faut croire et espérer. Qui ne croit pas sera damné.
Cet élément intuitif commun à toutes les religions peut être un argument à retenir dans la preuve de l'existence de Dieu et de la probabilité de survie. C'est le Walhalla chez les Germains, l'Eden dans l'ancien testament.
Une explication contradictoire consiste à déduire que ce n'est pas l'intuition mais l'angoisse qui crée cet au-delà (MK ??ORAS) "Si elle parvient à proposer une hypothèse même invraisemblable qui sauve les hommes, toute théologie a des chances d'être accueillie favorablement. Pour cela, elle doit se rendre crédible, D'où elle s'ingénie à créer des hypothèses des plus sophistiquées par exemple: vous aurez une chance de survie si vous vous êtes bien conduits».
A l'argument de l'intuition, il faut bien opposer celui de l'inquiétude propre à tout homme que l'espérance parviendra à mobiliser.
la culpabilité
1. La faute originelle et état d'âme religieux.
La plupart des religions considèrent l'homme coupable. Selon la théorie de la faute originelle, l'homme aurait commis un délit fondamental dont les conséquences se reportent sur l'ensemble de l'humanité. Cette humanité coupable doit donc subir le châtiment et implorer le pardon.
C'est la faute de l'homme, à un moment donné, qui engendre la souffrance.
La réfutation de Comte-Sponville consiste à expliquer que la souffrance précède l'éventuelle faute humaine (152), "les bêtes souffrent aussi et depuis plus longtemps que nous pour que la croyance en un Dieu bon et créateur soit moralement supportable. La chose fut masquée longtemps par l'anthropocentrisme, qui rendait l'idée de faute originelle plausible, d'où était censé découler tout le mal ... Mais nous savons maintenant que l'atrocité nous précède, et cela, sans nous innocenter nous excuse. Il faut que nous naissions coupables, disait Pascal ou Dieu serait injuste. Nous savons maintenant que Dieu fut injuste avant que nous ne fussions coupables, et c'est de quoi, - bien avant l'apparition de l'homme - des milliards de cadavres, s'ils avaient la parole, pourraient témoigner."
En s'appuyant sur cette théorie, Comte-Sponville conclut à l'injustice divine mais il développe un raisonnement qui s'applique à l'espèce animale. Selon l'hypothèse où l'homme est d'une nature différente (monade "esprit" de Leibniz) de celle de l'animal, l'argument de Comte-Sponville est assez fragile. La morale suggère cependant que même si la finalité de l'être soit différente, les règles qui lui sont appliquées (perception de la douleur, la mort) restent les mêmes
Une autre indication qui mérite d'être examinée est de savoir en quoi consistait cette faute? ( LC 82-83 "tu ne mangeras pas de l'arbre de la connaissance") cette idée est contradictoire avec l'esprit de l'homme dont "toute la dignité consiste en la pensée" selon Pascal. Or dans l'hypothèse de la faute, l'élément fondamental semble se confiner dans le fait que "l'homme doit courber l'échine" : toute recherche dans la voie de la connaissance serait irréligieuse. Si mon esprit s'active, je suis pécheur. Donc plus il progresse dans l'entendement, plus l'homme devient pécheur.
Relevons avec Comte-Sponville que d'une part, "l'idée de progrès fut presque absente dans l'antiquité" et d'autre part dans la longue citation qu'il fait de J.M Guyau (1878 la morale d'Epicure) que "Peut-être pourrait-on dire que l'idée de progrès est en antagonisme avec l'idée religieuse, et que, si l'une a été longtemps étouffée, c'est que l'autre a été longtemps dominante".
"Croire au progrès, c'est croire en l'infériorité du passé par rapport au présent et à l'avenir ... La plupart des religions, au contraire, placent à l'origine des choses une toute-puissance façonnant le monde et l'homme à son image: On comprend alors difficilement un monde qui, dès son origine et sortant des mains du créateur, serait imparfait, et mauvais; il semble que, pour chercher le bien, il faut se retourner plutôt vers le commencement des choses, vers l'époque où le monde étant en quelque sorte plus divin, étant plus jeune. Remonter les âges, c'est se rapprocher de Dieu. Toute religion est ainsi contrainte à expliquer le mal qui se trouve dans le monde par une décadence, au lieu d'expliquer le bien qui s'y trouve par un progrès ... Toute religion tend ainsi à devenir l'adoration du passé".
"La religion et la tradition semblent nous dire : - pour contempler l'idéal cherché, ne regardez pas devant vous, regardez en arrière ... L'homme, à lui seul, ne peut que faillir et tomber; Mais pour se relever et faire un pas en avant, il a besoin d'une aide supérieure. C'est la doctrine de la chute opposée à celle du progrès".
"Au contraire, une fois la religion écartée, on ne peut guère concevoir de théorie du monde qui n'ait pour principe ou pour conséquence la croyance à une évolution, à un progrès lent dans le temps ... Du moment où l'homme ne reçoit pas des mains d'un Dieu créateur sa civilisation toute faite, il faut qu'il la fasse lui-même avec le temps ... Ainsi toute théorie non religieuse du monde suppose comme corollaire et comme confirmation une histoire des progrès de l'homme ... L'idée de progrès vient s'opposer à celle de création " CS 154
Le climat imposé par la religion est celui d'une sujétion implacable. Elle décrit Dieu comme un Dieu jaloux.
CS 347 "La religion ne cesse de condamner le rire, le plaisir et jusqu'au bonheur même s'il est vécu sans Dieu et rappelle l'Evangile Luc VI "Malheur à vous qui riez, car vous connaîtrez le deuil et les larmes Que votre rire se change en deuil et votre joie en tristesse. Humiliez-vous devant le Seigneur"".
L'argument est d'importance car est-ce également en vertu de ce principe que le pape condamne la relation sexuelle sans but de procréation, donc la contraception en tant que telle.
Analysons ailleurs les problèmes de l'interruption de grossesse où se joue le problème du respect de la vie, mais attardons-nous au problème ci-dessus.
En vertu de quel principe la religion édicte-t-elle cette interdiction ? Que tout plaisir est banni, et pas nécessairement en dehors du mariage, ou pour une autre raison, par exemple, parce qu'il dérange le dessein de Dieu ?
Partant de ce principe, le pape décrète l'interdiction du préservatif qui reste le seul moyen connu actuellement de protection contre l'HIV. Le concret montre d'autre part que l'homme recherche ce plaisir : il faudrait donc que chaque acte soit accompli en vue de la procréation.
Voyons le drame de la famille nombreuse impossible à nourrir, de la surpopulation de Chine, de la croissance exponentielle de la population mondiale et posons-nous la question : si chaque acte devait être procréateur quel en serait le résultat ?
Il faut opposer cette attitude de culpabilisation propre à la religion à l'hypothèse de Spinoza, selon laquelle Dieu est d'une autre nature et l'action de l'homme ne peut l'affecter (Ethique 5 proposition 17 "Il n'y a aucune passion en Dieu et il n'est affecté ni par la joie ni par la tristesse"
2. l'élection de l'homme.
J'ai débattu de cette théorie précédemment dans le chapitre traitant de l'évolution.
Le concept chrétien est que Dieu a choisi et élu l'homme et je relève dans un article de J-P Longchamp, "L'existence de l'homme, au sein de l'univers a quelque chose de quasi miraculeux: ...il fallait une terre à bonne distance d'une étoile : ni trop chaude, ni trop froide, il fallait que cette planète se recouvre d'eau liquide... Les mécanismes physiques de l'univers semblent avoir été réglés avec une précision phénoménale dès l'origine.
Certains scientifiques, à la suite de B. Carter, en 1975, ont parlé à ce propos du principe anthropique.. Ce principe veut donc expliquer que l'univers est tel qu'il est parce que l'homme existe ... à l'opposé, d'autres comme J. Monod, estiment que l'homme a émergé par hasard dans un univers qui lui est indifférent".
Je veux critiquer les deux hypothèses. La première veut simplement faire admettre que l'intervention d'un Dieu peut être plausible. Mais si je me rapporte au conte de Jane, relaté plus haut, je puis affirmer que le hasard existe et je ne sais jusqu'où la coïncidence peut être complexe.
D'autre part, qui peut affirmer que la terre est la seule planète habitable et que le phénomène "terre" n'est pas reproduit ailleurs dans l'univers. L'homme est-il le seul être intelligent ? La négation de cette assertion transcenderait le monde d'aujourd'hui et affaiblirait l'argument que l'homme est le "seul élu de Dieu".
3. l'infaillibilité
Le dogme décrète que dans le domaine de la foi l'autorité de l'Eglise est la même que celle de Dieu. L'Eglise ne se déclare-t-elle pas être la substance de Dieu, Dieu ayant confié l'infaillibilité à Pierre, lequel la transmet à ses successeurs. J'irai jusqu'à une conclusion forte : si l'infaillibilité n'est pas prouvée alors l'Eglise n'a aucun fondement.
J'entame la discussion en remarquant que la religion a fait commettre de nombreuses erreurs parce qu'elle fait la confusion des choses qui la regarde ou non. C'est bien en vertu de cette religion qu'a sévi l'Inquisition. Dans un domaine qui ne la concernait pas, elle a condamné Galilée à l'abjuration de la vérité et a torturé de nombreux martyrs (l'empreinte de l'Eglise n'est pas toujours respectable). C'est bien en vertu de la dite religion que les Ayatollahs condamnent à la peine de mort.
Moins grave que l'erreur incontestable, il y faut relever la confusion : on trouvait, il y moins de 50 ans, l'obligation de jeun dont le manquement était considéré comme péché au même titre que le crime. Le ramadan ou le port du chadouf en gardent la rigueur aujourd'hui encore. Je classifie dans cet égarement l'interdiction du condom par le pape alors que le sida frappe.
La première inquiétude que ce constat suscite en moi est de savoir si, malgré ses égarements, l'Eglise peut prétendre dans l'absolu à la qualité d'infaillibilité ?
La seconde, en ayant relativisé la question précédente et en faisant abstraction du domaine qui ne la concerne pas, il convient alors de déterminer, si dans certains champs d'action exclusifs, elle peut détenir la vérité.
Mais qu'est-ce que le domaine exclusif ou réservé puisqu'elle intruse ou se rétracte selon les circonstances dans des champs flous: le jeun, le préservatif, Galilée. Sa seule réplique est la mystique de la révélation.
Enfin comment interpréter l'ouverture actuelle de la religion chrétienne qui accepte le dialogue avec d'autres Eglises qui elles ne détiendraient pas l'infaillibilité ? Comment interpréter également les nouvelles ouvertures, par exemple celle du Cardinal Danneels à qui l'on posait la question : "les incroyants peuvent-ils être aussi être sauvés?". Sa réponse "Pourquoi pas ?" N'est-elle pas l'antithèse de "Hors de moi point de salut" tel que nous le rappelle l'Evangile.
4. Les miracles dans l'Eglise
Ils sont partie du dogme. Mais si le mystère initial se décante et si l'on explique finalement le phénomène, si l'origine de l'observation est dénaturée et qu'il s'agit d'un fait banal, comment concilier l'obligation de la foi et la mystification
5. Ceux qui croient
Je pourrais conforter mon raisonnement en appréciant la qualité de ceux qui croient ou celle de leurs adversaires, soit parce que leur charisme est celui d'un être de bien, soit parce qu'ils engendrent le discrédit. Christ prêchait l'amour, Baudouin la réconciliation, il ne voulait pas abjurer sa foi profonde et il agit en fonction d'elle par exemple lors du vote parlementaire relatif à l'avortement.
Mais à l'opposé de ces attitudes méritoires, L'Inquisition et L'ayatollah condamnent et déshonorent la substance même de l'homme.
Une autre image est celle du moine dans sa prière qui fait à Dieu l'offrande au nom de ses frères trop occupés. Peut-on apporter crédit à cette attitude alors que le salut est un destin individuel.
Conclusions
Je suis convaincu d'une première évidence au cours de la critique de la religion : le caractère d'infaillibilité doit pour le moins être restreint au domaine propre du dogme, car dans l'absolu il y a trop de circonstances où l'Eglise se trompe. Si l'on admet la notion d'infaillibilité dans le domaine réservé, l'Eglise ne peut être en défaut sur aucun point de dogme. Certaines de ses positions engendrent le doute car où est la limite de son domaine ?
Par ailleurs, la théorie de la faute originelle dépasse l'entendement humain. Dès ma naissance, je serais coupable parce que je suis homme (un peu comme le juif poursuivi parce qu'il est juif). La notion de cette culpabilité ne peut se défendre que dans un concept de société et j'y ai apporté mon commentaire.
L'aspect de morale pure est développé par Comte-Sponville (145)" Si la morale était dans son principe, religieuse, elle cesserait par-là d'être morale. Il ne s'agirait que d'obéir, et la soumission serait, sinon l'unique vertu, du moins la source de toutes les autres".
Et il ajoute (CS152) "L'homme étant capable de vérité, il est indigne de lui de prendre son désir pour une vérité .. Abolir le savoir pour faire place à la croyance, comme dit Kant, ce serait une faute contre la vérité, ou plutôt contre l'esprit en tant qu'il est capable de vérité...La foi, qui met l'espérance plus haut que la vérité est en cela incompatible avec la morale, qui prescrit de mettre la vérité plus haut que la morale."
La foi sauve, disait Nietzsche, donc elle ment"
Cela suscite une attitude logique : Le doute est tel qu'il faut analyser l'alternative : si l'Eglise ne détenait pas la Vérité, la vision de certains penseurs est-elle plus juste pour m'aider à l'approcher?
Les philosophes
ls veulent découvrir la quintessence de l'être, du temps, de l'espace (Kant), de l'être en soi ou du pour-soi (Sartre). Leurs théories sont tantôt séduisantes et tantôt obscures, mais toujours d'autres les contredisent ou les interprètent.
J'imaginais pouvoir clarifier les préoccupations concrètes qui me tourmentent en affrontant quelques maîtres à penser.
Parfois faut-il regretter le manque de neutralité de certains d'entre eux (Comte-Sponville gauchisant, Nietzsche, antéchrist sans réserve) et cela nous oblige à neutraliser certains éléments de leur raisonnement pour nous focaliser sur l'essentiel. Parfois leur discours est impénétrable ou tout simplement éludent-ils le problème de base.
De sorte que se dégage une question de fond : quelle crédibilité peut-on accorder à ces maîtres à penser ? Peut-on accepter leurs déductions ? Suivre leur doctrine ? Alors qu'ils sont nécessairement contradictoires ou interprètes des autres.
Leur expression aboutit parfois à de telles confusions qu'on admet par exemple avec les critiques de Hegel qui développe une dialectique à propos de l'existence divine, que "(VGR) jamais aucune philosophie n'aura donné lieu à une telle diversité d'interprétations" ceci montre le caractère ambigu et sibyllin de certaines théories développées.
Que retenir alors de leurs apports tellement contradictoires dans notre effort d'identifier l'Etre Supérieur ?
S'ils ne détiennent pas tous la Vérité, eux seuls cependant par vocation tendent à la rechercher. C'est donc auprès d'eux que nous devons chercher l'inspiration. Ils restent le passage privilégié vers la Vérité. En les suivant dans le dédale de leurs cogitations, nous pouvons pour le moins acquérir un mode de pensée, sinon découvrir la méthode d'approche.
Candide, je voudrais les interroger sur les trois problèmes fondamentaux et pénétrer par-là dans leur monde au départ bien mystérieux. Les trois sujets : quel est leur entendement de Dieu, conçoivent-ils la survie, quelle est la vraie sagesse ?
S'il ne faut pas rechercher de recette, il s'avère bien que la démarche intellectuelle de certains d'entre eux soit un modèle logique préliminaire à une progression autonome. Pour certains d'entre eux, je retiens la méthode d'approcher le fond du problème et qui permet une sérénité logique :
l'argumentation de LEIBNIZ et ses contemporains
La recherche de l'Etre suprême peut être une démarche logique. Si le concept de l'univers est inexpliqué et inexplicable jusqu'aujourd'hui il faut bien un élément transcendant qui définisse ces lois.
Je veux simplement illustrer le type de pensée logique développé par ce philosophe: (LZ356) "Je crois que presque tous les moyens qu'on a employé pour prouver l'existence de Dieu sont bons et pourraient servir si on les perfectionnait et je ne suis nullement d'avis qu'on doive négliger celui qui vient de l'ordre des choses.
Un être pensant peut-il venir d'un être non pensant et privé de tout sentiment et connaissance telle que pourrait être la matière.
Il est assez manifeste qu'une partie de la matière est incapable de rien produire par elle-même et de se donner du mouvement. Il faut donc que son mouvement soit éternel ou qu'il soit imprimé par un être plus puissant. Quand ce mouvement serait éternel, il serait toujours incapable de produire de la connaissance... si la matière était le premier être éternel pensant, il n'y aurait pas un être unique éternel, infini et pensant mais un nombre infini d'être éternels, infinis, pensants qui seraient indépendants les unes des autres.. et qui par conséquent ne pourraient jamais produire cet ordre, cette harmonie et cette beauté qu'on remarque dans la nature. D'où il s'ensuit nécessairement que le premier être éternel ne peut être la matière.
On trouvera chez Spinoza l'idée que Dieu est Nature et l'on voit à quel point les idées peuvent converger vers un certain concept, mais diverger dans l'interprétation personnelle. Qu'est-ce que la Nature ?
Par contre, l'existence de Dieu ne signifie pas pour autant la résolution de notre seconde question "Que m'est-il permis d'espérer". Et pour cela il faut continuer la recherche et confronter les opinions et les méthodes.
l'incitation de BERGSON
qui métaphore "il faut marcher" "(Carou): l'intuition ne se demande plus si les instruments de la connaissance seront suffisants, seront adéquats, parviendront au but;
elle exige tout bonnement qu'on les emploie, partout et sans réserve, sinon sans prudence et circonspection." "je ne vois qu'un moyen de savoir jusqu'où on peut aller, c'est de se mettre en route et de marcher " et j'entends la leçon : hasardez-vous avec ce que vous possédez
le modèle idéal de SPINOZA
Beaucoup considère Spinoza comme un maître à penser et il est indéniable qu'en entrant dans son jeu, on est séduit par ses théories qui méritent l'attention parce qu'elles apportent une interprétation inédite et fondamentale dans la relation entre Dieu et l'homme.
Pour arriver à approcher l'idée de Dieu, il distingue des processus différents et progressifs: la connaissance du premier genre qui est une connaissance imaginative, sensible, perceptive et par images, la connaissance du second genre, discursive et qui engendre la conviction née de raisonnements, enfin, la connaissance du troisième genre: l'intuition qui s'acquière par le sentiment et jouissance de la chose elle-même et cette connaissance du troisième genre est la plus noble?
C'est de ce concept que je rapproche ma question d'éligibilité de certains.
Pour Spinoza, le conatus est l'élément actif de notre être qui exprime en nous la puissance et la vie même de Dieu.
On relève, dans son discours " qu'il y a nécessairement une idée qui exprime l'essence de tel ou tel corps humain sous l'espèce d'éternité" et cette phrase notamment sera sujette à interprétation.
Quelle est l'idée morale : Dieu est d'une autre essence, il ne juge pas. C'est se faire une conception anthropomorphique de Dieu que de le considérer comme législateur et juge (SZ13). Si l'on veut absolument garder la notion de loi divine, il convient de désigner par ce mot la règle de vie qui découle nécessairement de la connaissance et de l'amour de Dieu, de la jouissance de l'Etre, grâce à une prise de conscience de notre vraie place dans l'univers." "Lorsqu'elle dit que Dieu s'irrite contre les pécheurs, qu'il est le juge qui connaît les actions humaines, statue et sanctionne à leur propos, l'Ecriture parle sous une forme humaine et selon les opinions reçues parmi la foule, puisque son dessein n'est pas d'enseigner la philosophie, mais de rendre les hommes non pas savants mais obéissants".
Ses interprètes et contradicteurs
Ils s'opposent entre eux ont des concepts différents Il faut dire que l'expression abstraite est tellement sujette à interprétation qu'on peut lui faire dire n'importe quoi elle prête à équivoque et pour moi ne permet pas d'affirmer in concreto malgré sa "certitude".
L'Eglise le considère comme un hérétique, mais nous sommes au XVIIème siècle.
Comte-Sponville répertorie Spinoza comme athée - problème de l'au-delà (amour solitude) 104 "quand Spinoza écrit "par réalité et par perfection j'entends la même chose" il indique par-là que rien n'a de sens, rien, ni Dieu ni monde, autrement dit que la vérité suffit à tout, et se suffit, puisqu'il n'y a rien d'autre. L'immanence c'est cela : tout est là, il n'y a rien d'autre à chercher que tout, où nous sommes déjà. On ne peut trouver Dieu qu'en Dieu ou la vérité qu'en vérité. C'est pourquoi, "plus nous connaissons de choses singulières, plus nous connaissons Dieu" Dieu n'est pas derrière les choses, ni au-delà, comme leur sens ou leur secret; il est ces choses mêmes, toutes ces choses, tout ce qui arrive ("la nature" dit Spinoza), et c'est pourquoi il n'y a pas de Dieu, ni de sens. Il n'y a que la vérité : il n'y a que tout.
Or Delbos interprète différemment les propos de Spinoza : "des âmes condamnées à la passivité radicale, par suite, à la mort absolue, ne seraient point des modes nécessaires de l'Etre infini : or toutes les âmes le sont, et c'est cette filiation qui leur communique en principe à toutes la capacité d'être plus ou moins appelées au salut" (Delbos le spinozisme 172)
le mode de vie de KRISHNAMURTI
(se libérer du connu 96) prêche un carpe diem et une introspection personnelle qui rejette l'espérance en Dieu et en l'au-delà, mais par une autosuggestion affranchit de la mort : "pour savoir réellement ce qui se produit lorsqu'on meurt, on doit mourir.. cela n'est pas une plaisanterie; on doit mourir non pas physiquement, mais intérieurement, mourir à ce qu'on a chéri et a ce qui a provoqué de l'amertume. Si l'on a su mourir à l'un des plaisirs que l'on a eus, le plus insignifiant ou le plus intense, peu importe, mais d'une façon naturelle, sans contrainte ni argumentation, on sait ce que veut dire mourir.
Mourir c'est se vider totalement l'esprit de ce que l'on est, c'est se vider de ses aspirations, des chagrins et des plaisirs quotidiens.
La mort est un renouvellement, une mutation, où n'intervient pas la pensée qui est toujours vieille. Lorsque se présente la mort, elle apporte toujours du nouveau. Se libérer du connu c'est mourir et alors on vit".
les préceptes
de HORACE "carpe diem",
de SENEQUE cs211 "tout ce qui arrivera plus tard est du domaine de l'incertain : vis dès maintenant"
de MARC-AURELE cs214 "vivre chaque jour comme si c'était le dernier.
Les maîtres ès philosophie apportent-ils une solution ?
A travers ma vue de Candide et après beaucoup d'extrapolations, tout en sachant que je trahis leurs pensées, je peux au moins savoir jusqu'où on peut s'aventurer aujourd'hui.
Je ne veux à aucun prix avoir une vue exhaustive de leur monde, car elle supposerait un investissement trop important et je redis Comte-Sponville "nul ne peut philosopher à notre place", l'effort doit donc rester personnel.
CONCLUSION
Si, après ce tour d'horizon, aucune position ferme ne pouvait être arrêtée, par contre des idées concrètes peuvent s'esquisser. De manière synthétique, je suis amené à extraire certains points forts:
Les religions substituent le rite et la croyance à la raison.
De nombreux exemples d'erreurs donnent des religions une image peu crédible que ce soit l'Inquisition ou l'Ayatollah.
La religion chrétienne propose aujourd'hui un schéma fondamentalement moral (aimez-vous les uns les autres) par contre elle veut l'homme coupable et l'oblige à baisser la tête. Elle ne dégage pas le dogme de son infaillibilité.
Pour Spinoza, Dieu n'est pas un juge, il est Nature et ses critères sont différents de ceux des hommes. Par une technique de raisonnement il considère que l'homme peut être sauvé. Si ce message était vérifié, il serait le plus confortable : il constate le caractère transcendant de l'Etre suprême et il conclut à la salvation.
Le dilemme "Etre ou ne pas être" ne sera pas levé. Et ma conduite de vie doit en tenir compte.
Le message d'Horace "carpe diem" encourage de multiples interprétations : On le retrouve de manière bien différente chez Krisnamurti, chez Spinoza ou chez Comte- Sponville.
"Tout peut arriver à n'importe quel moment" disait Michael Jordan.
Elle implique pour moi une conduite de vie très précise : Imaginer que tout jour peut être le dernier et me comporter en conséquence : avoir le futur en toile de fond, l'expérience du passé comme repère, mais le présent comme vue active.
Conforté par l'idée de Spinoza, "Dieu est d'une autre nature", ayant observé les mutations de cette Eglise qui se cherche, ayant butiné parmi les philosophes, je puis résumer la sagesse : accepter sereinement la mutation de l'homme et le dilemme de l'au- delà.
Références
CS André Comte-Sponville
KT Kant
SZ Spinoza
SW Simone Weil
LC Longchamp
PC Pascal
VG Vladimir Grigorieff