Mise en œuvre d’un système d’Allocation universelle
L’allocation universelle a été abordée la plupart du temps à travers d’arguments émotionnels qui ont montré, à profusion, le bien-fondé de ce système. Mais sa mise en application est restée cependant très souvent assez vague.
Les contradicteurs se sont généralement focalisés sur deux éléments : le coût énorme que cela représenterait pour l’État et sur l’aspect éthique car attribuer un revenu sans travailler paraît, à leurs yeux, asocial.
J’ai répondu au dernier argument en relativisant la valeur travail et en proposant un triple paramètre à l’application, à savoir : être compatible avec un budget communautaire, être suffisant pour aider des citoyens en difficulté, mais ne pas être excessif pour que le travail rémunéré reste un objectif pour tout citoyen.
Le modèle qui me paraissait le plus conciliable avec ces contraintes était celui de génération libre évoquant un système Liber/Libertax impliquant qu’il n’y a pas d’allocations sans une cotisation.
Pour schématiser la manière de concevoir un système comme celui-là, imaginons un groupe de 3 personnes, typique de différents statuts socioprofessionnels.
Appliquons-leur un principe de fonctionnement semblable à un système assurantiel dans lequel un prélèvement fixe de 10 % sur les revenus (flat tax) alimente une cagnotte à répartir. Dans notre exemple, les cotisations cumulées des 3 participants s’élèvent à 900 €. Le nombre de participants s’élevant à 3, chacun recevra donc 300 €.
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Impact social
Vu sous l’aspect de la contribution individuelle, le participant le plus défavorisé A recevra le montant intégral de l’allocation, B un peu moins et le plus favorisé C sera le contributeur le plus important, soit une participation de 500 €.
Le résultat observé au point de vue social est que l’on assiste ici à une égalisation des revenus réclamée par de nombreux interlocuteurs et surtout que les personnes sans revenu reçoivent une aide.
Régulation du système
Pour éviter que cette répartition ne devienne arbitraire, il faut assigner au système trois objectifs stratégiques :
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Cette répartition doit rester financièrement supportable pour le groupe,
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Cette allocation doit être suffisante pour permettre au moins favorisé de survivre.
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Cette allocation doit rester incitative à s’intégrer dans un monde actif.
Pour cette raison, le taux, actuellement de 10 % doit être modulable, remplacé par une variable X et il appartient au gestionnaire social de réguler ce paramètre.
Posons aussi le principe selon lequel les bénéficiaires de revenus conditionnels ne toucheront pas plus avec l’AU que ce qu’ils reçoivent aujourd’hui, sans devoir cotiser.
En effet, les aides sociales constituent déjà une allocation que la communauté alloue à différents groupes dans une situation précise et négociée socialement car l’effort communautaire n’est pas illimité, mais d’autre part, le revenu du travail doit être valorisé.
Fonctionnement pratique
Allons plus loin dans la mise en œuvre de cette application.
Deux paradoxes apparaissent aussitôt.
D’une part, alors que le montant de la cagnotte constituée ne sera connu qu’en fin d’exercice, il est évident que pour être acceptable l’allocation doit être attribuée avec une fréquence mensuelle aux bénéficiaires pour qui celle-ci constituera pour certains le principal revenu de subsistance.
D’autre part, comment déterminer aujourd’hui le revenu des contributeurs, socle de la cagnotte ? Selon la conception du fisc, celui-ci est connu lors de la déclaration fiscale au cours de l’année suivante. On doit donc se baser sur un montant estimé de recette mensuelle moyenne et qui sera corrigé ensuite.
La solution la plus logique consisterait alors de partir des revenus imposés de l’année antérieure divisés par 12 et de prévoir une régularisation en fin d’année lors de la déclaration annuelle des impôts.
Par ailleurs, d’autres phénomènes peuvent intervenir en cours d’année (décès, expatriation, naissance) il faut à ce moment-là interrompre/initier la cotisation et régulariser la situation ensuite.
Une autre source devrait logiquement alimenter la cagnotte : les autres allocations que l’AU remplace. Puisque l’allocation inconditionnelle remplacera d’autres allocations conditionnelles, celles-ci seront censées enrichir la cagnotte.
Enfin, il faut porter à l’actif de ce système, largement simplifié, le fait que des fonctions administratives doivent disparaître, à savoir la gestion de la conditionnalité. Quoi de plus normal que de faire bénéficier la cagnotte de cette économie.
À partir de ce descriptif, on constate que le système devrait mettre en œuvre plusieurs sources de données à savoir le fichier fiscal des participants, l’organisme de paiement de ceux-ci (les banques), les organismes d’aide sociale et les données de l’état-civil.
Dans un système tel que celui-là chacun est à la fois bénéficiaire de l’AU et débiteur de sa cotisation. D’une manière concrète on pourrait imaginer que chacun des participants à ce système soit nécessairement titulaire d’un compte bancaire sur lequel il autorise une instruction permanente gérée par un algorithme qui détermine le montant à prélever/recevoir.
Prototypage
Essayons d’improviser un système avec sa technique, sa structure, sa hiérarchie pour articuler ce qui vient d’être proposé.
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Les paramètres généraux doivent être gérés par le politique il aurait à définir le taux de prélèvement et disposer des éléments lui permettant d’anticiper l’impact de ses décisions.
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La base de données des cotisants bénéficiaires s’apparente au fichier fiscal va permettre de définir le montant de la cotisation à prélever chaque mois.
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Le fichier bancaire va concrétiser l’opération en prélevant et/ou allouant chaque mois ce qui va mouvementer le compte des allocataires.
Examinons quelques cas d’espèce :
Pour fixer le montant mensuel de leur cotisation, l’assiette que représente leur revenu de l’année antérieure est connue de l’administration fiscale et va servir de base au calcul de leur cotisation mensuelle, en appliquant un indice qui pourrait être variable d’année en année.
L’exemple du dernier participant, c’est celui d’un enfant qui naît ou celui d’une personne sans revenu dans l’année 0. Le fait de les faire bénéficier d’une allocation engendrera l’année suivante une base de revenus, lui-même soumis à cotisation l’année suivante.
En ce qui concerne le bénéficiaire B, il quitte la communauté en cours d’année (décès, expatriation). Outre sa régularisation, il faut aussi noter que ce départ réduira l’année suivante le nombre de bénéficiaires.
Un autre intervenant à considérer est l’état. Comme le principe de ce système est de respecter la situation d’aujourd’hui, l’état aura réduit les allocations conditionnelles du montant de l’AU, le montant ainsi récupéré devrait logiquement être retourné à l’enveloppe de l’AU.
Compte tenu du mécanisme qui a été appliqué, on voit dans cet exemple que le montant individuel de l’allocation est variable d’année en année. Pour éviter ce phénomène les variables d’ajustement sont soit le taux de cotisation qui doit être revu annuellement ou le montant versé par l’État. Mais ceci est une décision politique. Rappelons la décision de l’état d’Alaska qui a réduit le montant des allocations lorsque la manne financière qui le soutenait, à savoir le pétrole, a vu son cours chuter.
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Essayons de dégager l’intérêt d’un système comme celui-là.
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Il se déroule à l’intérieur d’un groupe qui assure son propre financement. Il ne représente donc aucune charge pour l’État.
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Il permet l’expérimentation à un niveau réduit au départ d’une population limitée, celle d’une commune ou d’une région, avant de l’appliquer à un niveau plus étendu.
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Une fois le groupe défini, l’autorité peut affiner les paramètres à appliquer. Mais surtout de couvrir l’entièreté d’une population sans tenir compte de critères sociétaux, contrairement à des systèmes limités à un groupe d’âge ou à un groupe de chômeurs (Finlande).
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L’utilisation d’un taux variable va permettre d’adapter l’allocation aux ressources du groupe, à la définition sociale que l’on veut lui donner : aide importante contre incitant à travailler.
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Par le biais d’un taux de cotisation choisi, le modèle permet d’assurer une certaine égalisation des ressources.
Expérimentation pratique
Partant de ce concept, explorons certains aspects pratiques en imaginant une mise en œuvre du modèle qui permettrait à la fois de définir le paramètre idéal par essai-erreur à savoir la définition du montant idéal et d’autre part en définissant une communauté-test de départ mais qui cette fois ne se focaliserait pas sur une catégorie de citoyens comme l’a fait, par exemple la Finlande sur des chômeurs mais qui pourrait par exemple couvrir une ville ou une région de manière exhaustive avant de s’étendre au-delà, avec une expérience avérée.
Conclusions
Les suggestions qui précèdent ont-elles des chances d’aboutir un jour ?
En ce qui concerne l’allocation universelle, on a vu des essais timides en Finlande et en Hollande. Le malheur veut que pareils essais ne soient pas significatifs, parce qu’ils couvrent un échantillon trop ciblé de la population, alors que le système final devrait être universel.
D’autre part on sent dans la conduite de l’essai un scepticisme à la base. On n’a pas créé l’infrastructure nécessaire pour obtenir un test réel, à savoir un groupe géographique qui cotise et reçoit de manière inconditionnelle.
En plus, l’allocation universelle n’est qu’une pièce du puzzle : elle représente une solution sociale dans un monde qui a évolué et qui, grâce à la robotisation, pourrait retrouver une certaine liberté. Cette solution demande une réforme structurelle assez importante.